La photographie et l'inspiration de la semaine :
Déjà trois heures, que le travail a commencé. Nous avons pris la fourgonnette depuis le centre d'un village a 200 âmes. Le maire avait réservé il y a trois mois notre intervention, c'est que nous sommes occupés. On ne peut pas vraiment dire que nous sommes des hommes de l'ombre car nous travaillons de jour, mais je me sens toujours un peu transparent quand vient le moment de faire son boulot. Tout le monde nous voit bien sûr mais passe sans faire réellement attention à nous. C'est comme dans la vie, on croise des millions de gens sans s'en souvenir. Nous avons une mémoire sélective paraît-il. En même temps, quel serait l'intérêt de se rappeler de tout ?
Ah, la pause arrive enfin après les trois kilomètres parcourus. Nous commençons à transpirer et le soleil nous écrase de sa chaleur. Nous tombons sur un mur, carcasse de maison. Tiens, c'est drôle, il y a trois boites aux lettres devant. Elles semblent abandonnées... mais peut-être qu'en passant par la porte dans le mur, on verrait un chemin printanier dévaler la colline pour aboutir à des maisons pleines de vie.
Je pousse un soupir de soulagement en m'adossant à l'ombre de ce mur de pierre. Je regarde en arrière et voit notre travail qui prend forme. Une longue ligne en pointillés blanche qui donne un peu de relief à cette nouvelle route désertique. Je m'éponge le front avec mon tee-shirt... vivement la retraite, le boulot est en train de m'user. Si j'y arrive bien sûr.
Trois semaines que mon cher médecin m'a annoncé que j'étais atteint d'une maladie génétique à l'œil. Ma mémoire sélective n'a pas retenu son nom, à quoi bon ? Je me souviens juste que ma vue va baisser gravement d'ici quelques temps... et voilà que je m'inquiète de ne plus voir les magnifiques paysages qui s'offrent à nous, comme aujourd'hui... A l'ombre de ce mur je broie du noir. J'ai du passer ma phase de déni pendant ces trois kilomètres à trimer. Je me suis dit qu'en n'en parlant à personne, ça allait s'effacer... je me sens peut-être parfois transparent mais elle, la maladie, je la ressent bien aujourd'hui. C'est étrange à part devenir aveugle rien ne va changer... pfffff quelle bêtise je viens de dire là ! Rien entendu d'aussi stupide !
Allez bois un coup, tu te déshydrates mon pauvre vieux. L'eau avalée m'éclaircit les idées et descend le long de mon gosier pour me rafraichir. Ce soir, c'est sûr, j'en parle à ma femme, car ce n'est pas le boulot, ni la maladie qui auront raison de mon être, c'est le secret et la solitude dans lesquels je me suis enfermé à double tour.
V.
La photographie et le texte ne sont pas libres de droit !
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